- Jeanine Baude par Philippe Barnoud
Née dans les Alpilles, Jeanine Baude a cependant consacré son premier recueil, publié par Sud Poésie en 1989, à l’île d’Ouessant dont elle est tombée amoureuse et où elle vit en partie aujourd’hui, quand elle n’est pas à Paris. On retrouve cet opus inaugural, « Ouessanes » , dans le premier tome de ses « Œuvres poétiques » que viennent de faire paraitre les éditions de La Rumeur libre, associé à deux autres recueils, « C’était un paysage » (Rougerie, 1992) et « Incarnat désir » (Rougerie, 1998). Autant de suites de poèmes très courts, qui installent une voix de belle densité et une poétique de la concision.
Pas d’effusion en effet dans ces « Ouessanes » – néologisme posant d’emblée la dimension insulaire comme primordiale et la rumeur océane comme toile de fond – mais des sens en éveil et une sorte de lyrisme contenu, bien que tellurique, de la perception. Des « mots fuyant la démesure », et la révélant pourtant, dans une approche parfois presque cosmique. On pense à Char pour la fulgurance et la forme souvent aphoristique. « Seul le vent peut dire le chemin ».
« L’île silencieuse / marche / vers le destin / que j’ai choisi », annonce Jeanine Baude en ouverture, signifiant qu’elle parle d’un lieu élu par elle, d’un « lieu acquis », qui d’ailleurs se livre aussi, s’offre à sa quête, permet de « savoir l’exil / au bout de soi ».
Cette « terre fertile en pleine mer », elle lui accorde « un regard d’aigle », mais c’est aussi avec tout son corps qu’elle l’aborde. L’éprouve, tout contre elle : « resserré / l’espace / autour de moi », écrit-elle. On pense à la marche, « mitoyenne de la parole ». La « hanche du rocher » et ce monde très minéral lui inspirent des encres lapidaires (et l’on songe cette fois à Guillevic). Ce qui n’interdit pas de « prendre les chairs / à bras le corps » et n’occulte pas l’intime, « l’espace de la chambre », ainsi qu’on peut l’aborder dans les deux autres recueils, où l’océan cerne toujours, mais où le quotidien semble mieux s’insinuer à travers un objet domestique – « un bouquet d’œillets rouges / dans une cafetière oubliée là » - et où « l’écume / et la musique / croissent / en parallèle ».
Le « panthéisme amoureux » de Jeanine Baude, comme le nomme son préfacier, José Manuel de Vasconcelos, mêle les registres de l’amour et de la mer, dit son désir avec le lexique du végétal et du minéral et se saisit du monde avec les mots de la sensualité. Après la « genèse du vertige », c’est là comme une forme d’« alliance ». Et c’est aussi une poétique. Le paysage s’érotise en ce « pays mouillé ». On y note que « l’homme couché / dans la dérive / des mâts / ouvre la chambre / à la mer ». Un soleil s’impose « entre l’immensité / liquide / et le ciel serein » avec le recueil « Incarnat désir » , et avec lui éros, mais encore « l’insécurité de l’être ». Incarnat est la couleur du désir, de la vie fiévreuse et tout autant de la blessure. Voire même de la mort qui se profile.
Les derniers poèmes évoquent en effet les disparus dans une sorte d’apaisement qui amène à mesurer ses arpents de vie : « mesurer ma limite d’être », écrit l’auteure que la solitude a accompagnée très discrètement jusque-là. Car ce qui porte cette parole est aussi une vision sans illusions de l’existence. Carnation, incarnation, de l’inquiétude notamment. Il n’est pas d’échappatoire : « je n’ai jamais pris de routes / qui mènent ailleurs » écrit Jeanine Baude. Elle ne renonce cependant jamais à l’échange et affirme la nécessité de la poésie : « Il faut dire / autrement / ce qui ne peut se dire / dans l’entrave / noire et blanche / des mots ». Cet autrement fait toute la passion du poète.
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